La chien et la chaine

Mon epouse etait venue avec moi a Moscou pour me soutenir et temoigner durant ma consultant medicale. Ces voyages lointains, ces conversations ajoutent encore de la fatigue a mon etat. Nous avions laisse Tchestor chez lses parents.
Nous dormirent une nuit sans lui a l appartement. Le lendemain, son pere telephona pour nous informer qu il etait tres malade.
A notre retour de Moscou, nous allames le chercher pour le conduire de nouveau a la clinique.
Si je dis "de nouveau", c est parce que ces dernieres semaines, nous l y avions conduit pour une maladie des voies urinaires; ensuite, pour une otite chronique. Les veterinaires de la clinique decouvrirent que l infection de l oreille etait due a des levures.
Hier, nous nous y rendimes pour une complication de la boreliose.
Il etait tres mal en point. Mon epouse pleura beaucoup et lui demanda pardon. Pendant qu elle etait au magasin, je mis de la musique douce pour nous apaiser. Je lui confiai que je le comprenais. Moi aussi, j ai des infections qui me rongent le corps, le coeur, des toxines. Les remedes semblaient fonctionner, il put uriner souvent pendant la nuit. Ce matin, il etait plus alerte.
Certains parametres etaient rassurants; d autres moins moins. Vu son etat, les pronostics etaient tres favorables.
Il fallait refaire le traitement. Comme d habitude, je le maintains en lui parlant avec affection pour le rassurer.
Il y a quelques jours, mon epouse avait eu un songe dans lequel elle nous avait vus tous ensemble a la mer; nous nous baignions dans l eau agreable et legerement salee sous un soleil souriant.
J etais fatigue, mon dos me faisait mal, le jour avant, ma tension arterielle etait a nouveau au-dessus de 100.
Je maintenais la pauvre creature, et je l entendis hurler. Je ressentis un stress intense chez lui. Il hurlait!`Il hurla trois fois! Le veterinaire attribua cela a sa sensibilite naturelle. Soudain, je ressentis un choc a l interieur de lui qui resonna avec une puissance innouie dans ma poitrine qui etait tout contre la sienne. La sensation desagreable d un choc electrique qui vous fige, et une fois interrompu, plus rien; si ce n est qu effarement, douleur et vide.
Ils emporterent notre petit chien dans la salle d operation pour un electrochoc.
Je priai encore et tentai de rassurer de mon epouse.
La veterinaire principale nous communiqua la nouvelle: notre petit Tchestor avait quitte notre monde.
J essayai de rassurer mon epouse, je lui dis en pleurant qu il etait au paradis des chiens, qu il etait heureux, qu il jouait avec les chiens de mon enfance sous un ciel bleu, dans une verte et tendre prairie, souriant, en attendant notre venue.
Je sais... Les Grecs ne croient pas que certains animaux gagnent le paradis.
Et oui, peut-etre que cette image apparut pour me soulager.

La veterinaire nous expliqua que la boreliose provoquait ce genre de complication, mais elle ne comprit pas qu il cracha du sang quand ils tenterent de le ranimer.
La brave bete dissimulait bien sa souffrance et dans un si petit corps, l infection peut se repandre tres vite sans doute. Je ne sais pas.
Quand de tels drames arrive, naturellement, on essaie de rationaliser, de trouver des explications. Je me souvins qu il avait deja eu un infarctus, que ces infections successives durent l affaiblir beaucoup.
Ou autre chose, qui sait? Nous ne le saurons jamais. Et puis qu importe? Cela ne changerait rien.
La responsable nous proposa de l incinerer, mais nous refusames. Mon epouse prefera l enterrer dans la propriete ou il grandit, celle de ses parents, a cote des quelques bouleaux dans le fond.
Ils nous le rendirent dans une caisse en carton.C est normal. C est un animal.
Quand je me rendis a la voiture en portant sa depouille, il se passa un phenomene qui arrive a tout le monde - celui de la chaine.
Un evenement intense en rappelle d autres qui lui ressemblent.
Dans mon esprit, je revis a nouveau la cour interieure de l hopital d Orechovo-Zuevo, le petit cercueil de notre petite Marie. Je ressentis a nouveau le froid, le poids exact de son peit corps qui glisse a l interieur; si peu, quelques centaines de grammes tout au plus mais si lourd dans la memoire.
Me revint aussi le souvenir de ma defunte Grand-Mere. Quand j etais adolescent, Luc et moi l avions decouverte morte dans son lit. L autopsie revela qu elle mourut d un AVC. Je revis son visage abattu, a moitie fige. Son corps etait rigide comme de la glace.
Je le deposai dans la voiture comme je deposai jadis le corps de ma fille.
Nous parlames un peu, mon epouse cru que je la critiquais, mais non. Alors, je lui expliquai, elle comprit. 
Sur le chemin du retour, nous parlames encore. Je priai pour eviter le piege du jugement ou conduit parfois les "et si nous avions fait cela".
A nouveau, elle crut que je la critiquai.
Les images, les emotions revenaient dans mon corps, elles se bousculaient dans mon esprit, je pleurais, je pleurais, ... L image reconfortante de mon grand-mere me vient a l esprit, il disait: "Tiens-bon! Tiens-bon!" Je pouvais a peine voir la route. J arretai la voiture sur le bas-cote.
L emotion m emplissait, la douleur me dechira dans un cri, mon torse s effondra, ma gorge se bloqua, je ne pouvais plus respirer, et la voix de mon grand-pere: "Tiens-bon, tiens-bon", mon coeur se raidit, je compris que je partais aussi.
A ce moment, assis, le torse baisse, je ressentis comme une grosse tape dans le dos, et je pus respirer. Mon corps se relacha quelque peu ainsi que mon coeur.
Nous reprimes la route. Nous nous souvinmes des bons passes ensemble avec Tchestor. Je reparlai du paradis des chiens.
De retour, je l accompagnai a son travail.
Je revins seul a l appartement; mon esprit erra quelque peu dans la fatigue et la tristesse. Je regardai des choses ininteressantes et d autres qui le sont plus. J ecris a une connaissance sans parler du malheur; je pensai a nouveau "a quoi bon?"; je me souvins des silences. Et je me mis a ecrire pour encore essayer de depasser la peine, pour tenter de guerir a la mort de la petite ame que j avais entre les bras, tout contre ma poitrine, que j eprouvai partout en moi.
Dieu, puisse-Tu apporter reconfort a mon epouse, me rendre la sante pour que je puisse surmonter cette nouvelle epreuve. Si j etais en bonne sante, les mauvais souvenirs remonteraient moins a la surface. Je pourrais mieux affronter les epreuves, les mechancetes, drames. Et puis, elle a emi le souhait de prendre un autre chien. Cela nous ferait beaucoup de bien. 


 

 


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